Reproduction de l’article paru sur le blog travailler-en-Suisse.ch
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Maître David Dana, l’avocat qui fait trembler les banques des frontaliers [Interview]
Article rédigé le 27 juillet 2017
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Maître David Dana est un avocat établi à Paris, spécialisé dans le contentieux bancaire et financier. Il conseille et accompagne plusieurs clients frontaliers dans leurs contentieux contre des banques de frontaliers ayant commercialisé des prêts en franc suisse. Il nous explique dans une interview ces affaires.
Dans plusieurs affaires récentes opposant le Crédit Agricole à des clients frontaliers, la Cour d’appel de Metz a annulé des prêts en devises, obligeant ainsi la banque à rembourser les intérêts et à prendre en charge le différentiel de change entre la souscription du prêt et sa conclusion.
David Talerman : Maître Dana, pourriez-vous en quelques mots nous commenter cette affaire ?
Les prêts en franc suisse se sont révélés être des prêts toxiques compte tenu de l’appréciation de 60 % environ du franc suisse par rapport à l’euro sur une période de 10 ans et de la réalisation du risque de change qui est supporté seul par l’emprunteur.
De nombreux emprunteurs ont ainsi assigné leurs banques devant les tribunaux français afin de contester la validité et les effets négatifs de ces prêts. Les prêts en devise peuvent être des prêts à taux fixe ou variable avec indexation sur le Libor franc suisse. Ils peuvent être également des prêts structurés avec une opération sur produits dérivés, des swaps de taux, des contrats d’option, etc.
Il peut exister en conséquence plusieurs risques : le risque de change et le risque de taux.
Le contentieux qui nous intéresse ici est le cas où des banques françaises ont commercialisé auprès de particuliers français résidant en France des prêts libellés en franc suisse remboursables en franc suisse. Par une série d’arrêts rendus le 6 avril 2017, la Cour d’appel de Metz a jugé que si le contrat de prêt est un contrat interne, sans aucun lien d’extranéité, il ne peut pas être remboursé dans une devise étrangère à celle en vigueur dans l’Union européenne.
Les faits étaient les suivants : le prêteur était une banque française, l’emprunteur était un résident français, le prêt était affecté au financement d’un bien immobilier situé en France, les fonds était mis à disposition en France et les remboursements devaient s’effectuer en France.
Le contrat de prêt n’était en conséquence pas un contrat « international » mais un contrat interne, c’est à dire « franco français ».
La clause contractuelle obligeant l’emprunteur à régler ses mensualités en devise étrangère, en franc suisse, a en conséquence été jugée nulle car elle portait atteinte au cours légal de la monnaie en vigueur au sein de l’Union Européenne. Compte tenu du caractère déterminant de cette clause, la cour d’appel a jugé que la nullité de cette clause emportait la nullité de l’ensemble du contrat, ce qui a pour effet de replacer les parties dans l’état où elles étaient avant sa signature.
Les parties sont remises dans leur état antérieur : l’emprunteur est donc contraint de restituer les fonds reçus de la banque qui est tenue en contrepartie de lui restituer l’ensemble des sommes reçues.
Ces décisions ne sont néanmoins pas définitives. La Cour de cassation se prononcera prochainement sur leur portée.
A lire le résumé de la décision de la Cour, cette décision est très lourde pour la banque prêteuse. Pourquoi, selon vous, une décision aussi sévère ?
Les prêts en devise sont désormais encadrés par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires n° 2013-672 du 26 juillet 2013. Il n’y a plus de problème depuis son entrée en vigueur.
L’article L. 313-64 du code de la consommation pose le principe d’interdiction de souscription par les personnes physiques d’emprunts immobiliers libellés dans une monnaie étrangère à l’Union européenne.
Il prévoit que « Les emprunteurs ne peuvent contracter de prêts libellés dans une devise autre que l’euro, remboursables en euros ou dans la devise concernée, que s’ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt, excepté si le risque de change n’est pas supporté par l’emprunteur ».
Cet encadrement juridique spécifique va tarir ce contentieux pour l’avenir.
Les contentieux en cours portent donc sur les prêts conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi et son décret d’application. Les magistrats peuvent néanmoins être tentés d’intégrer certains effets de cette loi aux contrats passés avant son entrée en vigueur.
Peut-on dire que cette décision va désormais servir de référence pour la suite ?
Il est difficile de savoir quelle décision pourrait avoir plus de portée sur les autres contentieux à venir. L’important pour les emprunteurs est de trouver une issue judiciaire favorable. Les banques de frontaliers seront éventuellement davantage disposées à négocier.
Existe-t-il un délai de prescription pour ce type d’affaire ?
Il faut distinguer selon que l’on invoque la nullité de la clause ou son caractère abusif.
Pour l’annulation de la clause et donc du contrat, le délai est de 5 ans à compter de la conclusion du contrat. Il faut donc que l’emprunteur assigne la banque dans ce délai impératif sauf pour les prêts in fine, adossés à une assurance vie, la Cour de cassation venant de juger que le point de départ du délai de 5 ans est l’échéance finale du contrat, de sorte que les recours sont plus facilement envisageables.
Pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause, celle-ci doit être jugée non écrite, de sorte que ce moyen est imprescriptible et peut être soulevé à tout moment.
Pour les prêts in fine, adossés à une assurance vie, la Cour de cassation vient de juger que le point de départ du délai de 5 ans est l’échéance finale du contrat, de sorte que les recours sont plus facilement envisageables.
Si je comprends bien, il est donc primordial d’assigner afin de suspendre la prescription et permettre aux clients de se défendre ?
La prescription ne peut être valablement interrompue que par une action en justice.
Comment se passe en pratique et en quelques mots une affaire comme celle-ci ? Quelle sont les informations que doivent produire les clients ?
L’entier dossier doit être communiqué à l’avocat.
Et pour les clients frontaliers ayant contracté un prêt en devise auprès d’un établissement bancaire en Suisse, est-il aussi possible de recourir à une procédure comme celle-ci ?
Si le prêteur est une banque suisse, d’autres moyens juridiques doivent en conséquence être soulevés.
Le droit européen permet à l’emprunteur consommateur d’assigner la banque en France et de solliciter l’application de certaines dispositions impératives du droit français de la consommation et ce, malgré l’existence de clause prévoyant l’application du droit suisse et la compétence exclusive des juridictions suisses.
Le Code de la consommation français offre ainsi la possibilité au juge de réputer abusive une clause portant sur l’objet du contrat à condition qu’elle ne soit pas rédigée de façon claire et compréhensible et qu’elle créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des emprunteurs.
Une décision récente favorable a été rendue sur ce motif. L’emprunteur n’est donc pas démuni face à une banque suisse.
Plusieurs autres voies de droit sont ouvertes : les vices du consentement, le défaut de mention du TEG ou d’un TEG erroné, l’illicéité de la clause d’indexation, le manquement à l’obligation d’information et au devoir de mise en garde.
Avez-vous observé des différences de comportement entre les banques ? Certaines acceptent-elles de négocier plutôt que d’aller au Tribunal ?
Des accords transactionnels sont naturellement possibles. Néanmoins, il est préférable que les négociations soient menées par des avocats plutôt que par les emprunteurs. Il est possible de s’accorder sur un cours EUR/CHF acceptable pour les deux parties.
Que conseilleriez-vous à un client qui n’a aujourd’hui pas revendu son bien (et qui n’a donc potentiellement pas de préjudice) mais qui ne peut pas le revendre à cause d’un différentiel de change trop important ? Peut-il rentrer en matière ?
S’il envisage de vendre son bien prochainement, il devrait prendre attache avec un conseil.
N’y a-t-il pas un risque de se faire « blacklister » par l’ensemble des banques lorsqu’on rentre dans une telle procédure ?
Je ne le pense pas. On parle ici de faire valoir ses droits. Les banques elles mêmes n’hésitent pas à contester les contrats signés lorsque leurs effets ne leur conviennent pas, notamment en matière de taux d’intérêt négatif.
Biographie de David Dana
David Dana est avocat au Barreau de Paris. Il est titulaire d’un Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées de Droit Immobilier de l’Université de Paris I – Panthéon Sorbonne et d’une Maîtrise en droit des affaires de l’Université de Paris X.
Avant de fonder Dana Avocats, il a exercé deux ans au sein de l’équipe immobilière du cabinet Lacourte Balas Raquin et quatre ans au sein des départements Corporate Finance des firmes internationales Norton Rose LLP et Hogan Lovells à Paris
Dana Avocats est un cabinet d’affaires situé à Paris, 109 avenue Henri Martin dans le 16ème arrondissement.
Les activités dominantes du cabinet sont le contentieux bancaire et financier et le droit pénal des affaires.
Nous assistons les emprunteurs et les investisseurs dans le cadre de litiges contre les banquiers, les assureurs et leurs intermédiaires, les prestataires de services d’investissement et les conseillers en investissements financiers.
Crédit photo : Fotolia – freshidea
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Catégorie(s) : Salaire et finances
À propos de David Talerman
Je suis un professionnel de l’expatriation et de l’emploi en Suisse.
Je suis l’auteur de Travailler et vivre en Suisse, co-auteur de Décrocher un emploi en Suisse, et fondateur de Travailler-en-Suisse.ch le site de référence pour l’emploi en Suisse.
Je suis aussi occasionnellement chroniqueur pour la Tribune de Genève, et actuellement « Head of Digital & Sales » chez b-Sharpe à Genève.
Je donne dans ce blog ma vision de la Suisse, de l’actu et pas mal de conseils pratiques.